Les défis principaux relevés par la mesure en continu du glucose
(Pr Patrick Ritz, Pr Hélène Hanaire, Antonin Counillon)
Le principe
Un capteur de glucose est un système qui produit un courant électrique en réponse à la présence de glucose, via l’enzyme glucose oxydase qui va générer des électrons, donc un courant électrique, en oxydant des molécules de glucose. Pour convertir la mesure de ce courant électrique en concentration de glucose, il faut effectuer une calibration en divisant le courant mesuré par la sensibilité, qui correspond au rapport entre l’augmentation du courant et celle de la glycémie. L’une des difficultés réside dans le fait que ces capteurs mesurent le taux de glucose dans le tissu interstitiel. Or le rapport entre ce taux de glucose interstitiel et le taux de glucose sanguin varie d’un individu à l’autre et en fonction de leur différente sensibilité à l’insuline, qui influence le flux entrant et sortant de glucose dans les cellules. De plus, l’environnement du capteur, qui peut évoluer avec le temps, influence également la mesure. Dès 2014, la technologie FreeStyle© Libre permettait de n’avoir aucune calibration durant 14 jours.
Les apports de la mesure en continu du glucose dans la gestion de la glycémie
« L’arrivée de la MCG a été une véritable révolution, à la fois pour les diabétologues et pour les patients, et elle continue de l’être, car elle est en constante évolution », souligne le Pr Éric Renard (CHU Montpellier ; président de la SFD).
Une lecture plus précise de l’équilibre glycémique
Elle offre une accessibilité à beaucoup plus de données et apporte une notion dynamique, permettant de passer de valeurs discrètes à des tendances, ce qui était beaucoup plus difficile à comprendre avec la glycémie capillaire. La MCG a ainsi permis de se rendre compte de la variabilité glycémique et de ses fluctuations importantes, parfois dans des échelles de temps très courtes, notamment grâce aux flèches de tendances qui permettent d’anticiper en temps réel. « Il faut néanmoins prendre en compte un délai physiologique entre la glycémie et le glucose interstitiel, qui peut aller de 8 minutes de retard en conditions stables, à 20 minutes lorsqu’il y a des variations fortes », note-t-il (1).
Chaque patient dispose aujourd’hui d’un profil ambulatoire du glucose (AGP) afin d’adapter et d’optimiser une prise en charge personnalisée. Cela offre une lecture plus précise de l’équilibre du diabète à travers les différents paramètres et permet de déterminer s’il est nécessaire de modifier le traitement ou non.
Des données disponibles en temps réel
Les mesures effectuées par le capteur sont renvoyées à un dispositif de lecture, par exemple un smartphone, et disponibles pour le patient, son équipe médicale et même ses proches s’il le souhaite. « Il est important de savoir utiliser correctement les éléments affichés à l’écran, notamment savoir ce que signifient les valeurs, les flèches de tendances indiquant la direction des variations récentes, ainsi que l’historique général pour mieux anticiper la suite », indique le Dr Sylvie Picard (Dijon ; fondatrice du Cirdia).
Des alarmes
Les dispositifs sont aussi munis de différentes fonctionnalités, comme des alarmes qui peuvent se déclencher à partir des mesures et des calculs en temps réel du dispositif. Les patients, guidés par leur diabétologue, peuvent choisir les alarmes qui leur conviennent le mieux et faire un réglage approprié de leurs seuils. En effet, la qualité de vie des patients doit être préservée au mieux et certaines alarmes ne sont pas adaptées à tous les modes de vie. Le seuil des alarmes doit aussi être adapté en fonction de l’AGP individuel, mais en général il est recommandé de régler les seuils d’alarmes d’hyperglycémie à moins de 200 mg/dl et celles d’hypoglycémie à plus de 75 mg/dl. « Il faut tout faire pour qu’elles ne se déclenchent pas, mais il vaut toujours mieux être réveillé par l’alarme incendie que par l’incendie lui-même », illustre Sylvie Picard.
Les nouveaux standards d’équilibre glycémique
Avec la richesse des données issues de la MCG, il a été possible d’affiner des paramètres ou d’en extraire de nouveaux, qui sont devenus incontournables aujourd’hui.
Le temps dans la cible (Fig. 1)
L’un des paramètres fondamentaux est le temps dans la cible (Time in range, TIR) qui est un indicateur du pourcentage de temps pendant lequel la glycémie mesurée se trouve dans une cible préétablie, qui se situe entre 70 et 180 mg/dl. Lorsque le TIR est supérieur à 70 %, correspondant à plus de 17 sur 24 heures de temps dans la cible, il est considéré que le diabète est correctement équilibré. En général, le TIR est établi sur les 2 dernières semaines de mesure.
Un nouvel indicateur, le Time in tight range (TITR) se situe entre 70 et 140 mg/dl et correspond à l’intervalle des concentrations de glucose chez les personnes non diabétiques.
Figure 1 – Les limites en glucose de chaque cible par type de population (d’après Battelino T et al. Diabetes Care, 2019 ; 2). Chaque colonne représente :
• sur sa partie gauche, les différentes bornes de glucose interstitiel définissant le temps dans la cible (en vert), le temps au-dessus de la cible (en jaune) et le temps en dessous (en rouge) ;
• sur sa partie droite, les objectifs cibles du traitement.
Par exemple, il faudrait plus de 70 % de temps dans la cible 70-180 chez une personne vivant avec un diabète de type 1 ou 2, mais “seulement” plus de 50 % dans la même cible si cette personne est âgée ou à haut risque.
L’hémoglobine glyquée et l’indice d’équilibre du taux de glucose
La mesure de l’hémoglobine glyquée (HbA1c), qui a été le pivot de l’évaluation de la glycémie de grandes études, est toujours le principal critère de jugement aujourd’hui. L’objectif pour la majorité des patients est de ne pas dépasser 7 %. Cette mesure reflète l’équilibre glycémique sur une échelle de temps d’environ 3 mois, correspondant au temps de renouvellement des globules rouges. Elle peut être influencée par un renouvellement accéléré des globules rouges ou d’autres conditions de santé. À partir de la MCG, il est possible d’extraire l’indice d’équilibre du taux de glucose (Glucose management indicator, GMI) qui reflète une échelle de temps plus courte, en général établie à 2 semaines. Cependant, pour environ la moitié des patients, il y a un écart important entre le GMI et l’HbA1c, et la mesure de cette dernière reste donc indispensable. La perspective d’une équation de GMI corrigée est entrevue. Ensemble, le GMI et l’HbA1c apportent des informations complémentaires.
Le coefficient de variation
Un autre paramètre fréquemment utilisé est le coefficient de variation (CV) qui vise à mesurer la variabilité du taux de glucose. Il est jugé trop élevé quand il est supérieur à 36 %. Ce seuil est cependant dépassé pour de nombreux patients, et ce paramètre ne permet pas de faire la part des choses entre la variabilité intra- et inter-journalière.
Ces paramètres, utilisés aujourd’hui en pratique clinique courante, font l’objet de recherches continues. Un projet de grande envergure est en cours d’élaboration et vise, à partir de données sources mondiales sur les taux de glucose, à utiliser l’intelligence artificielle pour approfondir la compréhension fine des variabilités.
« Les paramètres que nous utilisons aujourd’hui offrent une avancée formidable, mais ne sont encore que la partie émergée de l’iceberg, il reste à exploiter énormément de données source avec des variabilités qui ont du sens en termes cliniques », commente le Pr Jean-Pierre Riveline (AP-HP Hôpital Lariboisière, Paris).
Les bénéfices de l’arrivée de la MCG
Les dispositifs MCG ont été très rapidement adoptés par la grande majorité des patients, en particulier depuis leur mise à disposition et le remboursement en 2017 du Free-Style© Libre. « La France a été le premier pays au monde qui a donné un accès aux dispositifs équitable pour tous les patients diabétiques avec injections multiples, il y avait une possibilité d’accès juste », rappelle le Pr Hélène Hanaire (CHU de Toulouse).
Satisfaction des patients et des médecins
Une étude qualitative menée sur la vision croisée des patients et des médecins sur les dispositifs a montré qu’ils étaient satisfaits à plus de 90 % (3). Celle-ci comportait un questionnaire sur les différents usages de la MCG et les médecins comme les patients considéraient qu’elle permettait d’avoir un accès facilité à la glycémie et d’améliorer l’équilibre. Les patients y trouvaient également un bien meilleur confort, car cela leur évite de se piquer les doigts six fois par jour pour relever leur glycémie, ce qui facilite aussi l’intégration de la maladie en vie courante. Les fonctions principalement utilisées par les patients étaient les valeurs instantanées et les tendances, ce qui leur permettait de mieux comprendre l’évolution récente de la glycémie, sa dynamique et de savoir ce qui allait se passer. Les échanges entre les diabétologues et les patients ont aussi été considérés comme plus animés et mieux documentés.
« Les patients et les médecins ont entrevu l’enrichissement de la relation, avec une place du patient au centre, qui devient beaucoup plus proactif grâce à toutes ces données et les discussions qu’ils pouvaient avoir », explique le Dr Agnès Sola (AP-HP, Hôpital Cochin, Paris).
Amélioration de l’équilibre glycémique
L’accès aux données glycémiques en continu par les patients a un effet très positif sur l’équilibre glycémique. Une étude multicentrique française a montré qu’il y avait un gain important sur l’équilibre, en particulier lorsque les patients avaient une éducation thérapeutique à la MCG et d’autant plus qu’ils utilisaient une pompe à insuline (4). Ceux qui bénéficient d’une éducation thérapeutique maintiennent d’ailleurs une meilleure autogestion dans le temps. « Avec la MCG, nous sommes passés d’un accès ponctuel de la donnée à un accès continu. Plus les données sont consultées, plus la gestion de l’équilibre est bonne », explique Hélène Hanaire (5). D’autres études importantes ont montré les bénéfices de la MCG sur les patients, notamment l’étude IMPACT (6), menée chez des diabétiques de type 1 (DT1), et l’étude REPLACE (7), chez les diabétiques de type 2 (DT2) : les patients qui avaient bénéficié de la mise en place d’un dispositif de MCG avaient une amélioration nette de leur équilibre glycémique ainsi qu’une réduction importante de leur temps passé en hypoglycémie, car cela leur permettait de disposer d’outils pour agir rapidement. D’autres études ont montré une réduction de l’HbA1c durable dans le temps chez les adultes et les enfants avec MCG (9, 9), et que chez les patients atteints de DT2 non traités par insuline, le simple port du capteur permet d’améliorer leur glycémie sans modification du traitement médicamenteux (10) : accéder à la donnée et comprendre les variations glycémiques permet aux patients de modifier efficacement leur alimentation et leur activité physique.
Diminution des complications liées au diabète
Les complications liées au DT1 ou au DT2 sont multiples, allant des affections chroniques, comme la rétinopathie, la néphropathie, les complications macro et microvasculaires ou différents types de neuropathies, à des événements aigus, voire mortels, comme des hypoglycémies sévères, les acidocétoses ou les comas. Différentes études ont montré que les patients avec un TIR 70 % ont très peu de risques de ces complications, et qu’elles augmentent à chaque baisse de 10 % du TIR (11, 12). Il en va de même pour le risque de mortalité et d’hospitalisations pour événements aigus (13, 14). « La MCG est aussi un outil de sécurité », pointe le Pr Emmanuel Cosson (AP-HP Bobigny-Bondy-Sevran). Par exemple, une étude menée chez les DT2 qui avaient eu un infarctus a montré que la MCG permettait une réduction du temps en hypoglycémie et les événements liés aux hyperglycémies (15), notamment des hospitalisations pour acidocétose, en particulier chez les personnes âgées. De même, une étude a montré que des patients avec un TITR insuffisant ont un risque plus élevé d’accidents cérébrovasculaires ainsi que de nombreuses complications microvasculaires (16). « Il est impressionnant de voir la puissance de l’effet de la MCG sur des temps relativement courts en termes de prédictibilité, bien qu’il ne faille pas ignorer les autres paramètres comme l’HbA1c », indique le Pr Bruno Guerci (CHRU de Nancy).
Adaptation des traitements
« La MCG est aussi en train de devenir un outil indispensable d’aide de prise à la décision sur le traitement des patients », précise le Pr Bruno Guerci. Grâce à la MCG, il est devenu possible d’ajuster plus finement le traitement des patients. Pour certains, la nécessité de la mise en place d’injections multiples a été identifiée et pour d’autres, à l’inverse, leur schéma a évolué d’une insulinothérapie intensifiée à une insulinothérapie basale, avec une initiation désormais possible en médecine générale.
Aujourd’hui, la MCG est remboursée pour les patients sous insuline, mais elle se révèle très utile également pour ceux non traités par insuline, même si elle n’est pas encore prise en charge chez ces derniers. Une étude a montré que chez des patients DT2 sans insuline, sous traitement par sulfamides hypoglycémiants ou glinides, la MCG a permis de diminuer le temps en hypoglycémie et en hyperglycémie et de réduire les événements aigus, notamment les hospitalisations (17).
L’interopérabilité des systèmes : une autre révolution en cours
Les capteurs de MCG peuvent être connectés à différents systèmes pour optimiser le suivi et la prise en charge des patients. Dans la mise en place d’une télésurveillance, les données de MCG collectées à distance sont mises à disposition sur des plateformes consultables par des professionnels de santé afin de permettre des prises de décision mieux articulées avec le profil et le mode de vie des patients. « La télésurveillance facilite les téléconsultations, évite certaines hospitalisations et améliore le suivi des patients, en particulier ceux avec des traitements complexes, mais elle est indissociable d’un suivi en présentiel », pointe le Dr Jocelyne M’Bemba (AP-HP Cochin, Yerres). D’autres dispositifs, interopérables avec les capteurs de MCG, ont été récemment développés. Les stylos d’injection d’insuline connectés, remboursés depuis 2022, permettent d’injecter facilement des doses d’insuline en relevant automatiquement les horaires et les doses. L’utilisation des stylos permet de mieux mettre en lien les données liées à l’insuline avec celles de la glycémie et améliore également l’autosurveillance et l’observance des patients (18).
Enfin, la mise en place des systèmes boucles fermées, consistant à connecter un dispositif de MCG avec une pompe à insuline, a montré de très bons résultats sur l’équilibre glycémique (19). « Le remboursement à venir des systèmes de boucles fermées permet d’offrir un dispositif au plus près du besoin du patient », commente le Dr Sandrine Lablanche (CHU de Grenoble).
« La facilité des échanges, de l’élaboration d’idées et de la confrontation de points de vue avec les différents acteurs a été un aspect fondamental de cette révolution. J’espère que cela continuera dans les 10 ans à venir », conclut Hélène Hanaire.